Derrière l'indéboulonnable Meetic se cachent sur la toile une centaine d'autres sites de rencontres rivalisant d'originalité pour accrocher les cœurs solitaires.
Le Figaro Madame y consacre aujourd'hui un article entier auquel j'ai eu la chance de mettre mon petit grain de sel.
Pour faire le point sur les nouveaux comportements amoureux et les sites de Cupidon les plus audacieux du moment, c'est de ce côté-ci qu'il faut reluquer…
NB : Si le sujet vous intéresse, l'intégralité de l'interview que j'ai donné au Figaro Madame est dans la suite de la note.
ADOPTEUNMEC.COM
Avec adopteunmec.com, c'est dans un supermarché de la rencontre que l'on entre. Un espace de vente exclusivement réservé aux filles, des "clientes à satisfaire". Le site s'adresse clairement à une population jeune, adepte des réseaux sociaux et des applications Facebook dans l'esprit "Amis à vendre". Ici, le Prince charmant tant espéré a dû malgré lui céder sa place à l'Homme-objet minutieusement comparé et sélectionné pour son rapport virilité/sensibilité.
On est très près de la société d'hyper-consommation, décrite par Gilles Lipovetsky, où tout est poussé à son extrême : la relation amicale, comme amoureuse, devient un acte de consommation courante. Il ne manque au catalogue qu'une "carte d'infidélité" pour récompenser les clientes les plus zélées (donc rentables) et pourquoi pas un "contrat de confiance" - l'amour c'est aussi ça, non ? - avec une garantie "satisfaite ou remboursée" pour se protéger de toute non-conformité à la livraison ou, pire, d'éventuels vices cachés.
Au-delà du second degré et du decorum exotique (des ventes flash, des têtes de gondoles, des hommes en solde), ce que l'on nous propose ici c'est une mécanique particulièrement rassurante qui fait appel à des ressorts profondément ancrés dans la mémoire collective de consommateur. Une mécanique qui joue sur trois leviers principaux : la recherche du plaisir immédiat à travers l'acte d'achat impulsif (surtout en période de crise), la nouvelle exigence des clients en terme d'efficacité-produit, de résultat ainsi qu'un nouveau paradoxe, celui qui pousse les internautes à se désinhiber d'autant plus face à leur écran qu'ils souhaitent se protéger et se préserver dans leurs relations en face à face.
Reste que pour transposer ce modèle économique dans la relation intime, c'est autre chose. Il faut avant tout réussir à transgresser certains interdits sociaux : l'amalgame Amour/Acte d'achat n'est évidemment pas encore la norme sociale, surtout pour ces demoiselles. Le site a donc particulièrement travaillé deux aspects de son marketing. D'une part, le sens des mots et la tonalité second degré de son discours (sans pour autant oser appeler son site "acheteunmec.com"…). Et d'autre part, un message très déculpabilisant pour les filles qui met en scène un fort sentiment de pouvoir, le même que confère l'acquisition de l'objet tant convoité dans un rayonnage. Alors chiche…
SAMESECRET.COM
Le mal de notre ère numérique, c'est finalement la dématérialisation progressive du contact humain. C'est le complexe du Facebooker qui affiche fièrement un score "d'amis" impressionnant sans en connaître réellement le quart. Pour SameSecret.com, au contraire, c'est une opportunité.
A bien y regarder, le site ne joue pas tant la carte du secret partagé que celle de la fluidité des tout premiers instants de la relation amicale ou amoureuse. L'idée cachée derrière est bien une invitation à la rencontre débarrassée du risque affectif lié à la non-réciprocité du sentiment. Autrement dit, décomplexée de la fameuse peur du râteau…
Ici, sous couvert d'anonymat, chacun bénéficie d'un risque réduit à sa plus simple expression. Donc plus d'autocensure qui se justifie. D'un simple clic on lance son message et l'on entre immédiatement dans le jeu de la relation sans trop y penser. Au moment où l'on s'aperçoit, il est déjà trop tard, on est impliqué, engagé envers quelqu'un. Difficile dans ces conditions de faire marche arrière au risque de décevoir. C'est l'éternelle histoire : vous en avez trop dit ou pas assez.
Sur un plan marketing, ce schéma peut très bien se comparer à celui d'un client invité à tester gratuitement une offre sans aucune obligation d'achat. La prise en main du produit provoque généralement une telle appropriation de la part du client (une projection dans un usage futur) que l'on a de fortes chances de le voir repartir avec le produit en passant par la caisse.
MYZODA.COM
Dans les années 60, la Grande Distribution a massivement concentré en un lieu unique une offre de produits de plus en plus riche. Avec ces nouveaux super-marchés, les Français ont pris une nouvelle habitude, celle du "tout et tout de suite". Elle a tout naturellement rencontré les aspirations de la société de l'époque (mai 68, l'émancipation des femmes, le nouveau rapport au travail et à la modernité, etc.) et au-delà des comportements d'achat ce sont les rapports entre les individus qui ont peu à peu changé : la façon de se rencontrer, de vivre ensemble ou de se séparer une fois la relation "consommée".
La seconde évolution, c'est bien sûr la démocratisation d'Internet et du e-commerce dans les années 90. Imaginez donc : la possibilité d'avoir un accès quasi-permanent à l'information, de consommer en dehors des horaires d'ouverture des magasins physiques ou de rester connecté avec ses amis à tout instant. C'est l'invention du "tout, tout de suite et surtout… tout le temps".
MyZoda.com s'inscrit dans cette suite logique-là.
C'est le maillon relationnel qui manquait à notre époque, ces années 2000 tellement soucieuses de mobilité. On veut désormais "tout (nuance : tout ce qui est susceptible de nous intéresser), tout de suite, tout le temps et, si possible, partout !" La mécanique de Zoda n'est autre que la version romantique de l'Environnement Cliquable imaginé par Joël de Rosnay dans son ouvrage "2020. Les scénarios du futur". Un monde dans lequel nous ne serons plus contraints d'aller vers un écran pour avoir accès à Internet, à l'information et à la consommation mais, inversement, où nous pourrons continuer à évoluer librement au cœur de notre réalité quotidienne… quelque peu augmentée de fonctionnalités virtuelles "cliquables" à l'envie par le biais d'une simple télécommande (généralement un téléphone mobile).
C'est ainsi qu'aux USA, avec l'application Shop Savvy du Google Mobile, il suffit déjà de scanner le code-barres d'un produit en magasin pour obtenir immédiatement un comparatif de prix dans plusieurs boutiques en ligne, parfois même l'adresse du point de vente physique le plus proche, le tout accompagné d'une Google Map pour ne pas se perdre en chemin (!)
Avec Zoda, même principe : vous souhaitez rencontrer la bonne personne dans une soirée, fiez-vous à votre dating toy, il vous la désignera. Et ça, ça change tout.
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